Charles de Carlini nous invite à méditer ces textes

Photo Charles de Carlini
Je ne sais pas ce que la Providence me réserve de sort et de jours.
Je suis dans le tourbillon au plus fort du courant du fleuve, dans la poussière des vagues soulevées par le vent, à ce milieu de la traversée où l'on ne voit plus le bord de la vie d'où l'on est parti, où l'on ne voit pas encore le bord où l'on doit aborder, si on aborde; tout est dans la main de Celui qui dirige les atomes comme les globes dans leur rotation, et qui a compté d'avance les palpitations du cœur du moucheron et de l'homme comme les circonvolutions des soleils. Tout est bien et tout est béni de ce qu'il aura voulu. Mais si, après les sueurs, les labeurs, les agitations et les lassitudes de la journée humaine, la volonté de Dieu me destinait un long soir, d'inaction, de repos, de sérénité avant la nuit, je sens que je redeviendrais volontiers à la fin de mes jours ce que je fus au commencement: un poète, un adorateur, un chantre de sa création. Seulement, au lieu de chanter pour moi-même ou pour les hommes, je chanterai pour lui; mes hymnes ne contiendraient que le nom éternel et infini, et mes vers, au lieu d'être des retours sur moi-même, des plaintes ou des délires personnels, seraient une note sacrée de ce cantique incessant et universel que toute créature doit chanter, du cœur ou de la voix, en naissant, en vivant, en passant, en mourant, devant son Créateur.
Alphonse de LAMARTINE. 2 juillet 1849.
Pour les chrétiens, la période de l’Avent représente non seulement la Nativité du Christ, mais aussi son avènement, la parousie, soit son retour glorieux sur terre, à la fin des temps. C’est un temps d’attente durant lequel on se souvient des magnifiques paroles du prophète Esaïe, que l’on chante encore souvent en cette période de Noël : D’un arbre séculaire, du vieux tronc d’Isaïe … Le prophète attendait patiemment l’envoyé de Dieu. Et c’est de sa Foi inconditionnelle dont nous voulons nous souvenir durant ces quelques semaines qui nous séparent de la naissance de Jésus dans la crèche. Mais justement, nous savons qu’il est né ; nous le savons par les évangélistes qui nous ont rapporté la Bonne Nouvelle. Alors nous, qu’attendons-nous ? L’Evangile de Marc commence par ces mots : « Commencement de la bonne nouvelle de Jésus, Christ, Fils de Dieu. Dans le livre du prophète Ésaïe, il est écrit : Voici que j'envoie mon messager devant toi, pour t'ouvrir le chemin. ». Le Christ nous ouvre le chemin, le chemin de son Royaume, qui va venir, qui s’est rapproché, diront les évangélistes et Paul, qui nous invite à nous tenir prêt. Et c’est dans cette attente, dans cette joie que nous préparons Noël. Jésus, dans son berceau, nous apporte la liberté, la grâce. Il est le chemin. La vérité, la vie. Celles et ceux qui ont Foi en lui le suivront dans le Royaume de Dieu. La liberté, le philosophe Vladimir JANKÉLÉVITCH en parle ainsi : « la liberté n'est pas quelque chose-qui-est. La liberté n'est rien. La liberté n'est pas, mais elle sera; n'« existe » pas, mais devient. La liberté est chose à venir, futurum, c'est-à-dire non-chose, perpétuellement en instance et puissance d'avènement ; si l'aventure est d'affronter cet avènement ou avent de la chose-qui-advient mais qui sera toujours un pas-encore... »[1]. Nous sommes dans l’attente de ce pas encore, qui est le plus beau message d’espérance que nous puissions avoir.
En ces temps troublés par la crainte que le virus de la Covid fait planer sur nous et nos proches, où le confinement rend la vie difficile, particulièrement pour les plus isolés, les plus démunis, où le désespoir afflige trop de laissés pour compte, quel importance peut prendre ce temps qui précède Noël ? N’est-ce pas décourageant d’affronter un avènement qui sera toujours un « pas encore », jusqu’à la parousie ? Ma réponse est à trouver dans cet élan de solidarité qui s’est déployé durant cette épreuve, ces jeunes qui ont apporté aux ainés de quoi se nourrir et du réconfort ; ces livres qu’ils leur ont apporté, cet amour qu’il leur ont ainsi délivré. C’est ces moments de musique offerts, ces appels téléphoniques, virtuelles mains tendues. Tout cela est contenu dans le message du Christ : Aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés. C’est ce que nous enseigne le temps de l’Avent et qui se renouvelle chaque année.
Texte de Charles de Carlini
[1] Vladimir Jankélévitch, Le Je-ne-sais-quoi et le presque-rien, 1957, p. 218.

Photo Charles de Carlini
L’Attente
C’est la vie au ralenti,
c’est le cœur à rebours,
c’est une espérance et demie:
trop et trop peu à son tour.
C’est le train qui s’arrête en plein
chemin sans nulle station
et on entend le grillon
et on contemple en vain
penché à la portière,
d’un vent que l’on sent, agités
les prés fleuris, les prés
que l’arrêt rend imaginaires.
Rainer Maria RILKE